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mardi 28 mars 2017
Quels sont ces fruits? (audio)
Retrouvez mes autres textes (poésies, nouvelles) sur Atramenta.net Roger Angélo
mercredi 22 mars 2017
Les Eydelines
Une séparation, la perte de son emploi, la dépression, une plongée dans les affres de l'alcoolisme et le cerveau dérape. Alors l'impossible devient possible. Enfin, à condition d'y croire!
Extrait chapitre 1:
Extrait chapitre 1:
La Cuvellerie
Dimanche
Il
y a plus de vingt ans que Léopold n’a pas franchi le seuil de
cette maison. Et jamais il n’avait imaginé y revenir. Encore moins
en devenir le nouveau propriétaire. C’est aujourd’hui chose
faite depuis le décès de son oncle Marcel.
En
introduisant la clef dans la serrure, il se dit que finalement c’est
une opportunité inattendue qui s’offre à lui en cette période
trouble. Il y a maintenant six mois qu’il a perdu son boulot. Et il
en compte quatre depuis que sa femme l’a quitté pour son meilleur
ami. Voilà deux raisons suffisantes pour justifier l’habitude
qu’il a prise de se vriller régulièrement les neurones au Gin
premier prix. Quant à son fils Théo, ses études lui laissent peu
de temps à partager avec lui. Un scénario digne des comédies
dramatiques les plus lénifiantes !
Que
va-t-il faire de cette propriété ? S’y installer pour se
reconstruire à grands coups de bols d’air solitaire, ou bien la
vendre pour récupérer quelques centaines de milliers d’euros ?
Deux
clics retentissent. Il pousse la porte qui, comme on est en droit de
l’attendre dans ce genre de situation, grince. Une vague odorante
de renfermé, d’humidité et de moisissure assaille ses narines.
Instinctivement, il se couvre l’extrémité du nez du revers de la
main. Un rai de lumière filtre à travers un volet de guingois et
lacère le salon dans sa largeur. Il le suit comme un fil d’Ariane
auquel il s’accroche dans son désespoir, se dirige vers la fenêtre
et l’ouvre. Le jour s’installe sur le mobilier poussiéreux et
l’étalage de bibelots hétéroclites qui confèrent à la pièce
une apparence de musée des horreurs. Libellules, agrions,
courtilières, criquets, cafards, carabes, sauterelles, papillons,
sirex, bourdons, abeilles et araignées, tous punaisés derrière une
vitre observent impassibles un renard édenté, une fouine à la
fourrure miteuse et une effraie déplumée. Il y a même un
rottweiller naturalisé, la gueule inversée à cent quatre-vingts
degrés, tous crocs dehors, les yeux rivés vers le plafond comme en
attente d’un quelconque ordre céleste.
Sur
les étagères d’un buffet sans style, une impressionnante armada
de têtes réduites surveille la faune muette qui s’est réfugiée
dans cette pièce surchargée. Des bocaux remplis d’un liquide
opaque où nagent des membres mutilés trônent sur le dessus d’une
commode bancale. Entre les livres de la bibliothèque, des statuettes
représentant des démons en pleines bacchanales, semblent protéger
les écrits mystérieux récupérés ici ou là dans les brocantes du
pays. Léopold se souvient alors du goût prononcé de son oncle pour
la sorcellerie, les sciences occultes et autres phénomènes qui
l’effrayaient tant lorsque, gamin, il l’écoutait raconter ses
histoires insensées de monstres et de rituels sordides.
Un
frisson descend le long de sa colonne vertébrale. L’envie d’une
cigarette s’impose. Il en sort une, l’allume et tire une bouffée
profonde. « Comment peut-on vivre dans un tel fatras ? Me
faut un verre et vite ! »
Lundi
Au
pied du sofa, une bouteille de Gin renversée siège près d’un
verre éclaté dans lequel le soleil de la mi-journée projette sa
puissance. Encore engoncé dans son duvet, Léopold se tient la tête
entre les mains. Sont-ce les relents d’alcool ou les réminiscences
de ses cauchemars ? Il ne se sent pas bien, et l’envie de
vomir est irrépressible. C’est en titubant que Léopold commence
la journée. En quelques pas mal assurés, il se retrouve à quatre
pattes, la tête dans le bidet pour expulser le trop-plein de
tord-boyaux circulant encore dans ses veines. Des images lui
reviennent en flash. Un monolithe de pierre, un épais brouillard, un
espace dégagé de tout décorum, des voix bourdonnantes, un
grondement lancinant embrouillent davantage son esprit. Quelle est la
signification de tout cela ? En cet instant, il n’en sait
rien, et pourtant il a le sentiment d’une familiarité. Une
complicité le lierait-il à chacun de ces éléments révélés ?
Se
relevant, la chair de poule hérisse ses poils et confirme le malaise
qu’il ressent grandir en lui depuis son arrivée la veille au soir.
« Un café. J’ai besoin de caféine. Mais comment faire sans
électricité. Et puis ce froid pénétrant. Il doit bien y avoir un
moyen de chauffer un peu. Je n’aurais jamais dû venir ici. Quelle
idée à la con ! Pas âme qui vive à moins de quinze
kilomètres. Rien à manger. Cette bicoque est vraiment sordide…
pas une seule pièce agréable à vivre. Et la déco ferait fuir même
le plus excentrique des mystiques avec tous ces symboles, ces
accessoires et autres colifichets. Quel tordu ! Et pourtant,
enfant, il me fascinait le tonton Marcel avec ses histoires de
monstres, de magie et de mystères. Le pèlerinage va s’arrêter
là. Je bazarde le tout et je récupère les pépettes. En ce moment,
ce ne sera pas du luxe… mais où ai-je donc fourré mon briquet ?
Merde ! »
Léopold
écrase de son pied gauche les morceaux de verre près du sofa. Il
essuie la trace de sang sur son jeans et enfile ses mocassins. Il se
souvient avoir fumé une clope assis devant le secrétaire. Il ouvre
un tiroir, puis deux puis trois. Déplace trombones, élastiques et
crayons. Soulève des feuilles gribouillées, des articles de presse.
Passe du secrétaire au bahut, du bahut aux étagères surchargées.
Pas la moindre présence du briquet. Alors il change de pièce.
Même
pas une boîte d’allumettes dans la cuisine. Dans la salle de bain,
dans les chambres, toujours rien. Il s’assoit sur le rebord du lit.
Son regard parcourt les murs recouverts de papiers griffonnés avec
toujours le même symbole : un E majuscule au milieu d’un
triangle pointe en bas, dont le côté droit ne ferme pas l’angle
supérieur. Il y a aussi cette forme humanoïde dessinée à même le
plafond s’étirant comme une ombre déformée que l’on
observerait à travers une loupe.
Une
vague de chaleur délirante le ramène à sa quête matinale :
trouver de quoi allumer le poêle. Faire bouillir de l’eau. Boire
un café. Sans plus réfléchir, il se penche vers la table de nuit
et aperçoit plusieurs lattes dé-jointées de lambris dans le bas du
mur. Il en tire une. Le bois craque. Un amas de poussière forme un
minuscule monticule le long de la plinthe. Quelque chose cogne contre
la paroi. Il agrandit l’orifice en arrachant la deuxième latte qui
cède rapidement. Un épais bouquin à la couverture de cuir élimé
choit. Un fin filet de sang s’écoule de la paume de sa main qu’il
plonge dans sa poche de pantalon. Il en ressort un mouchoir. Et son
briquet.
Mardi
« Quelles
sensations étranges ! Je sens mes forces décuplées. Et cela
fait maintenant cinq nuits que je n’ai pas fermé l’œil. Je
n’éprouve aucune fatigue. La faim semble aussi avoir disparu. Je
perçois le moindre son jusqu’au trottinement d’une souris ou
celui d’une faucheuse. Mieux, j’arrive à deviner laquelle des
deux martèle le sol de ses minuscules pattes. Mon odorat aussi a
gagné en acuité. Tous mes sens sont en alerte permanente. Je ne
regrette pas un seul instant d’avoir suivi les voix. Elles me
parlent toujours, mais le ton est moins impérieux que les premières
fois. J’ai l’impression de savoir ce qu’elles veulent de moi
avant même qu’elles ne s’expriment. De toute façon, tout ce que
j’ai à faire c’est d’attendre la nuit tombée. Lorsque
Alaraph, Foramen et Okul paraissent, je n’ai qu’à m’étendre
sur le monolithe et la clairière s’embrase. »
Cela
fait plus de six heures que Léopold dévore les écrits de l’oncle
Marcel. Il ne sait que penser tellement l’invraisemblance semble
l’emporter sur la raison entre les lignes du journal intime.
Imagination débordante d’un cerveau aliéné, expériences
incroyables avec d’autres mondes, racontées par un solitaire
névrosé… il doute encore.
« Cette
nuit, la traversée a été éprouvante. D’ailleurs je commence à
ressentir des douleurs dans la nuque. Les Eydelines m’ont annoncé
que je devrais bientôt me ressourcer, sinon je mourrai. Ils n’ont
pas eu besoin de m’expliquer la manière de m’y prendre.
D’instinct, je savais qu’il me faudrait tuer. Mais de là à
attirer chez moi un de mes congénères et à l’éliminer… cette
façon de me nourrir me déstabilisa. Une telle révélation était
inattendue. Il m’a fallu du temps pour m’y résoudre, mais
j’avoue qu’aujourd’hui je n’ai plus aucun scrupule à dépecer
mes en-cas et les dévorer à vif. Quant à me gorger de leur sang
chaud, c’est une délectation telle que je me demande comment j’ai
pu vivre jusqu’à ce jour sans avoir éprouvé ne serait-ce que
l’envie de tremper mes lèvres dans le jet bouillonnant de ce
breuvage réparateur. »
Léopold
sent un haut-le-cœur le prendre d’assaut. À chaque nouvelle ligne
lue, il pressent l’horreur décrite dans le prochain paragraphe.
Malgré l’effroyable récit qui se déroule en pleins et déliés
sous ses yeux incrédules, il ne parvient pas à se détacher de ces
pages manuscrites. Il poursuit sa lecture, absorbé par les
révélations impensables qui s’imposent à son esprit cartésien.
« Les
vendangeurs me rendent visite de plus en plus souvent. Je n’ai même
plus besoin de me connecter au monolithe pour entamer la traversée.
Je me sens relié à eux en permanence. Et c’est plutôt un
avantage, car mes visions sont de plus en plus sombres. J’ai besoin
de leur éclairage pour atteindre la voie. Et rejoindre Eydel.
Définitivement. »
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