mercredi 16 mai 2018

Texte inédit sur Atramenta

En lecture libre sur Atramenta, je vous propose "Balance ton porc". Une nouvelle au plus près de l'actualité. Belle lecture!

Extrait:

« J’aurai ta peau, foutue salope ! » hurle l’homme en essuyant son front ensanglanté du revers de la main. Mais la garce prend la fuite à la manière d’une sprinteuse concentrée, les baskets coincées dans les starting-blocks. Elle ne l’a pas raté. Le chat en porcelaine, s’il le pouvait, s’en souviendrait. Sur le carrelage du living-room, ses fragments miaulent dans l’écho d’un ultime râle. Faiblement sonné, il se relève en titubant, ramasse son Beretta et dans un élan de colère décuplée la poursuit. Elle n’ira pas bien loin ; toutes les issues sont verrouillées. Il y a veillé en arrivant, car il n’est pas venu chez elle pour lui conter fleurette. Son intention est claire. Son envie aussi sûre que sa détermination : il va lui trouer la peau.
Allongés sur le drap de satin mauve qui colle aux corps, ils se regardent avec un sourire de satisfaction partagée.
— Je ne connais même pas ton prénom.
— Véronica.
— Enchanté ! Moi, c’est Johnathan, avec deux h.
— Bonjour, Johnathan avec deux h. Veux-tu boire ? Moi j’ai soif. Coca ? Whisky ? Autre chose ?
— De l’eau ! Un grand verre.
— Bien, m’ssieur !
Avec une grâce non feinte, elle balance son déhanché selon le rythme aussi chaloupé qu’une chanson de Sinatra. « I’ve got you under my skin. I’ve got you deep in the heart of me. So deep in my heart that you’re really a part of me. » La mélodie entêtante lui traverse l’esprit comme une évidence et il se met à la fredonner tout en admirant le corps de la jeune femme quitter la chambre. Quelle nuit incroyable ! La soirée avait pourtant mal commencé. Comme quoi, il ne faut présager de rien. La vie se montre généreuse en surprises. À condition d’assurer un état permanent d’étonnement. Ça, il maîtrise. En adepte de la philosophie d’Épicure, le plaisir apparaît souverain pour celui qui s’apprête à l’accueillir à chaque instant. Quoi de mieux que profiter du moment présent pour satisfaire ce penchant si charmant ? Surtout lorsqu’il prend les traits d’une apparition divine, car quand Véronica a poussé la porte du « 230 Fifth », sa raison a chaviré comme un boat people surchargé. Mais le sien n’était pas rempli de migrants en partance pour l’exil, mais d’émotions d’une surexcitation incontrôlée. Et cinq heures plus tard, il savoure la vue plongeante sur les courbes de Véronica.
Après un aller-retour aussi rapide que discret et élégant, elle lui tend une bouteille fraîche. Sur ses lèvres, les bulles de soda ont laissé un timide goût de caféine caramélisée. Et avant d’avaler une gorgée d’eau, Johnathan s’empresse de déguster goulûment cette suavité sucrée.
— J’ai passé une agréable soirée. La nuit, je ne te raconte même pas, lui confie-t-elle en se glissant contre ses flancs poilus et humides de sueur tant la chaleur est élevée dans l’appartement de la 57th street.
— Tu as raison : ne disons rien. Les souvenirs n’ont pas besoin d’être verbalisés pour qu’on les apprécie.
— Tu en parles déjà au passé. Moi qui comptais te revoir.
— Ah oui ! Bien sûr. Pas de problème, balbutie l’amant maladroit d’un soir qui n’a pas l’habitude de se projeter si rapidement, si tôt dans une nouvelle histoire.
— Cache ta joie ! sentence-t-elle tellement elle éprouve de difficultés à contenir sa déception.
— Véronica, regarde-moi, lui enjoint-il en saisissant son visage de ses mains fermes et caressantes. Promis, on se revoit. Dès ce soir, si tu le veux bien. 18H au lounge.
— OK ! Et la belle écrase ses lèvres charnues sur sa bouche de hipster barbu.
Six mois plus tard, Johnathan et Véronica sont inséparables. Enfin, elle se plaît à y croire. Et pour s’en convaincre, elle n’a pas eu besoin de fournir beaucoup d’efforts. Malgré l’intervention à peine motivée de son compagnon, elle a rejoint l’équipe de la startup dans laquelle il occupe le poste de cogérant aux côtés de Merrick. Ce qui a fait dire à son ami qu’elle lui avait mis le grappin dessus. « So deep in my heart that you’re really a part of me. » Et pour la première fois, Johnathan est contraint de se rendre à l’évidence : il se sent piégé. Emprisonné dans une relation qu’il voulait ponctuelle comme toutes les autres et non régulière. Encore heureux, il n’a pas cédé à la proposition de l’appartement commun. Cela l’autorise à pouvoir toujours bénéficier d’un semblant d’autonomie, d’un soupçon de liberté. Même si le moindre retard, la moindre absence déclenche automatiquement de la part de Véronica l’envoie d’un SMS ou un appel à peine stressé auquel il évite le plus souvent de répondre. Histoire de garder le contrôle sur sa vie, son emploi du temps. Il a aussi pris soin de préciser à sa superbe geôlière qu’il n’envisageait pas de renoncer aux aventures d’un soir. Et pas de négociation possible. C’était à prendre ou à laisser. Malgré les cris et les pleurs, la violence des mots prononcés avec trop de spontanéité, elle avait accepté le deal. Mais depuis, elle sent bien que leur relation décline. Que les tensions se font de plus en plus prégnantes sur les quelques moments d’intimité qu’ils partagent encore. Mais pour combien de temps ? Et pour le sexe, ce n’est plus ça. C’est comme si du voyage en amoureux à Venise, ils étaient passés au week-end fadasse à Acton dans le comté de York en plein cœur de l’hiver.
Comme tant d’autres fins de journée, ils sont attablés au « 230 Fifth ». La vue y est époustouflante et celle-ci contraste cruellement avec l’ambiance dans laquelle s’est enfermé le couple d’amants. De la terrasse, on surplombe tout Manhattan. On aperçoit l’Empire State Building ainsi que le Chrysler Building et sa flèche en gradins plaquée de Nirosta1. Par temps clair, dégagé de toute pollution, la Liberty Statue offre ses plantureux contours métalliques au coucher de soleil qui irradie l’embouchure de l’Hudson River. En cas de fraîcheur vespérale, une barmaid attentionnée peut vous prêter une veste légère, un élégant gilet pour réchauffer épaules et nuque. Il suffit de réclamer. La serviabilité du tempérament new-yorkais fait le reste.
1 métal argenté qui recouvre la flèche du Chrysler Building

Pour découvrir le texte dans son entier, suivez le lien: Balance-ton-porc